2- Bach à Köthen, heurs et malheur

La période que Bach passa à Köthen (1717-1723), relativement brève en comparaison des longues années Leipzig (1723-1750) qui suivirent, fut, dans la vie du musicien, tout à la fois heureuse et dramatique.

Par l’entremise de sa sœur avec laquelle Bach était très liée, le Prince Leopold d’Anhalt-Köthen sollicita le musicien d’accepter le poste de chef de l’orchestre de sa cour qui allait être vacant en août 1717. L’affaire fut conclut sur le principe mais, loin d’être la formalité supposée, le départ de Weimar tourna au vinaigre : non seulement mécontent de la démission de son organiste et de surcroît très agacé des signes ostensibles d’affection que Bach montrait pour son neveu qu’il détestait, le duc Wilhelm fit emprisonner le musicien. La mise au frais ne dura qu’un mois – davantage aurait créé un incident avec L'Etat de l’Anhalt-Köthen – mais le froid de la disgrâce fut en revanche définitif car Weimar ne pardonna jamais cette démission.

Le jeune prince Leopold, qui avait vingt-trois ans au début de cet épisode et mourra dix ans plus tard d’une épidémie de variole, adorait la musique : il jouait du violon, de la viole de gambe et du clavecin et possédait une belle voie de baryton. Son orchestre comprenait 17 musiciens d’excellent niveau dont une partie avait été exfiltrée de l’orchestre de Berlin en dissolution et une autre de celui de Brandebourg. Tout cela avait un prix : la petite principauté, qui avait inventée « l’exception culturelle » bien avant la France, engloutissait en musique un part considérable de son budget et payait son kapellmeister au salaire d’un maréchal.

Bach, puisque c’est de lui que l’on parle, ne logeait pas au château mais emménagea non loin dans une belle maison en ville – elle fut enfin identifiée par les historiens il y a quelques années seulement – et jouissait donc d’une situation tout à fait prospère. Comme il n’avait pas d’obligation de composer de la musique religieuse, ce fut à Köthen qu’il écrivit une grande partie de sa production instrumentale : les Suites pour luth, pour flûte, pour violoncelle, les Sonates et partitas pour violon, le Premier livre du Clavier bien tempéré, les Six concertos brandebourgeois et, enfin, les trois Concertos pour violon BWV 1041 à 1043, composés aux alentours de 1720 à destination de Joseph Spiess, le premier violon de l’orchestre et l’un des transfuges de Berlin. On imagine sans peine qu’à la tête d’une pareille phalange, le kapellmeister, dont on connait la productivité, dut composer bien des œuvres orchestrales qui, bien malheureusement, sont perdues. Il ne nous en reste que des effluves à travers la douzaine de concertos pour clavecin (BWV 1052 à 1065) qui sont, pour plusieurs d’entre eux, des transcriptions d’œuvres originales disparues.

Quant au Concerto en la mineur BWV 1041, il ne nous est parvenu que sous la forme d’un manuscrit des parties séparées, probablement de la main de Bach, daté de 1730 et qui, manifestement, ne servit jamais à une interprétation puisqu’il est exempt de la moindre surcharge. Bien que sa structure ne présente rien de révolutionnaire – Bach respecta l’alternance ripieno-concertino, mise au point par Corelli, qui permet au premier des violons des échappées virtuoses avant de regagner sagement son rang dans l’orchestre –, il n’en demeure pas moins que la forme même du concerto pour violon, caractéristique de l’Italie baroque, était très peu usitée en Allemagne à cette époque.

En juin 1720, les musiciens du prince accompagnèrent leur employeur prendre les eaux à Karlsbad (alors en Bohême, aujourd’hui en République tchèque), lequel ne savait se passer de musique, même le temps d’une cure, d’autant que, au niveau d’excellence atteint, l’orchestre d’Anhalt-Köthen était un instrument de représentation diplomatique de la petite principauté. Le drame se joua au retour : l’épouse de Bach, Maria-Barbara, était morte subitement et enterrée depuis un mois, laissant un mari effondré et ses quatre enfants.

Si durant les premières années, la complicité entre le Prince et son musicien apparait évidente – le souverain fut le parrain du dernier enfant né de Maria-Barbara –, son remariage en 1721 avec sa cousine Frédérique-Henriette distendra peu à peu des relations qui dépassaient largement les affinités artistiques : l’épouse du prince n’est pas musicienne et prend ombrage de cette amitié qui lui échappe. Six ans après être arrivé à Köthen et avoir même envisagé d’y terminer sa carrière, remarié avec Anna-Magdalena, l’une des cantatrices de cour de Köthen, de laquelle il aura encore treize enfants ( !), Bach décide de postuler au poste de Cantor de St-Thomas de Leipzig.

Philippe LERAT

L’Orchestre Les Pléiades donnera le concerto pour violon en la mineur BWV1041 les 24 et 25 mai 2014 à Paris. Soliste : Thierry MAURIN

Château de Köthen

Entrée nord du château de Köthen. De 1717 à 1723, Bach eut en charge la musique du prince Leopold d'Anhalt-Köthen et, comme il était de coutume à l'époque, devait à la fois diriger l'orchestre et composer pour lui.

Maison de Jean-Sebastian Bach à Köthen

La famille Bach habitait la maison en arrière plan derrière la statue et ne fut définitivement identifiée voilà quelques années seulement.

Quelques sources :

http://www.koethen-anhalt.de/de/bach-in-koethen.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Léopold_d’Anhalt-Köthen

Bach, de Luc-André Marcel, Le Seuil

Bach en son temps, de Gilles Cantagrel, Fayard

La Musique symphonique, de François-René Tranchefort, Fayard

Dictionnaire des musiques et des musiciens, Universalis